Au début de l'année 1982, Prince s'était fait installer un tout nouveau studio 24 pistes dans sa maison de Minneapolis. Du coup, il y a passé l'essentiel de l'année et en sort avec des kilomètres de bandes. D'après Bobby Z, Prince a voulu laisser libre court à son imagination et les sessions de cet époque révèlent des dizaines de trésors et de surprises. C'est donc un double album qui parait en octobre 82, avec pour titre "1999". Livré sous une pochette aux accents futuristes, le disque est un chef d'œuvre. Avec cet album, Prince vient de ressusciter la musique noire américaine, particulièrement aseptisée en ce début des années 80 par la disco et la new-wave. Prince a sorti le disque qui va marquer toute une décennie, brisant toutes les barrières et les tabous entre le funk et le rock, qui restaient en ce temps là des musiques très cloisonnées.

Le succès est d'autant plus mérité qu'au départ, "1999" ne partait pas avec les meilleurs atouts: Prince passait encore très peu en radio, du fait de textes souvent trop osés. De plus, "1999" est un double album, ce qui est par définition moins facile a vendre qu'un simple avec un prix de vente plus élevé. Pourtant l'album va faire un tabac et se vendre à près de quatre millions d'exemplaires en un an aux USA. il restera classé 153 semaines consécutives dans le Top Album US, soit près de trois ans!

C'est surtout le titre "Little Red Corvette" qui va faire exploser les ventes, à partir de février 83. Son solo de guitare légendaire (qui est l'oeuvre de Dez Dickerson et qui est composé d'un mix entre trois solos enregistrés séparément) va ouvrir à Prince une audience pop inespérée, et être son premier Top 10. Ses concerts se remplissent alors très vite et Prince joue dans des salles de plus en plus grandes. Ses clips commencent à passer en rotation élevée sur MTV, alors toute jeune. Le single de "1999" est même historiquement le 1er clip d'un artiste noir à passer sur cette chaîne musicale, longtemps réputée raciste.

Le troisième single est également un classique: "Delirious", une sorte de rockabilly synthétique et sautillant qui sera joué sur pratiquement toutes les tournées de Prince par la suite, sous différentes versions.

Le format du double album permet à Prince de livrer des morceaux d'une durée de six à neuf minutes, ce qui correspond aux longs morceaux funk qui commencent à se généraliser à cette époque. Toutefois, la structure des compositions de Prince est sensiblement différente des classiques funk. Particulièrement bien travaillé, le titre "Let's Pretend We're Married" pose les bases de la techno avec son rythme rapide, ses vocaux entêtants et les petites pointes de synthés qui en font une perle incontestable.

La seconde face du premier disque se poursuit avec un morceau sur un rythme plus rock (donc plus lent), "D.M.S.R." qui propose une ligne de basse terrible, agrémentée d'une guitare rythmique qui annonce des morceaux comme "Kiss". Le morceau est une véritable ode à la fête, et dévoile même que Prince est derrière le pseudonyme du producteur de The Time et de vanity 6: "Jamie Starr's a thief... it's TIME to fix your clock... Vanity 6 is so sweat... now u can all take a bite of my purple rock !"...

Plus on progresse dans l'album et plus la musique semble expérimentale. Le second LP s'ouvre sur "Automatic", le titre le plus long de l'album (9:24). Nous sommes encore en présence d'un jam funk avec des synthés hypnothiques, une ambiance sexy à souhait et une véritable folie dans l'expérimentation musicale.

Ensuite, "Something In The Water (Does Not Compute)" et "All The Critics Love U In New York" offrent un coté frustration / perversion tout en multipliant les sons électroniques et les solos de guitares.

Question ballade, "Free" poursuit dans la veine politique de l'album précédent, statuant que l'américain moyen a au moins une richesse: être libre de ses opinions. Musicalement, c'est peut être le morceau le moins novateur de l'album, tout en restant très correct. "International Lover" est la romance sexuelle inévitable, ou Prince compare ses prestations dans un lit à un vol à bord d'un 747.

Gardons le meilleur pour la fin, a savoir "Lady Cab Driver", un des morceaux les plus funk de Prince, avec la totale: le solo de guitare sublimissime avec les synthés en contrepoint, le rap sexy sur les gémissements de Jill Jones, le son enjoué des guitares rythmiques...

La rubrique face B n'est pas dénouée non plus de morceaux intéressants. L'excellente ballade blues "How Come U Don't Call Me Anymore?" est une première dans la discographie de Prince, qui joue seul au piano. Manifestement, le style de ce morceau ne correspond pas à l'album mais il fait une face B idéale. "Horny Toad" est un titre très rapide qui reprend la recette de "Delirious" mais avec des paroles beaucoup plus osées, ce qui en fait un parfait complément au morceau sus-nommé. Enfin, "Irresistible Bitch" est un jam funky et hypnothique : sons électroniques, basse rebelle, voix en retrait, choeurs de Wendy et Lisa, batterie acoustique...

A noter qu'en Europe, Warner préféra éditer une version simple album avec une pochette complètement différente et en supprimant pas moins de cinq titres.